Olivier GERVAL | Émilie KREMER
Avec la collaboration de Jean-Claude PRINZ
Concept
store
Olivier GERVAL | Émilie KREMER
Avec la collaboration de Jean-Claude PRINZ
Concept
store
Concept-store
Éditions Eyrolles
61, bd Saint-Germain
75240 Paris Cedex 05
www.editions-eyrolles.com
Tous droits réservés. En application de la loi du 11 mars 1957,
il est interdit de reproduire intégralement ou partiellement
le présent ouvrage, sur quelque support que ce soit, sans
l’autorisation de l’auteur.
© Groupe Eyrolles, 2009
ode arnets de mode
la réalisl'autniiovners du designer de la conception à la réalisation
Concept-store
Olivier Gerval \/ Émilie Kremer
Avec la collaboration de Jean-Claude Prinz
Sommaire
Préface – Gérard Laizé
Avant-propos – Jean-Claude Prinz
CHAPITRE II
TENDANCES
CHAPITRE I Panorama des thèmes architecturaux ..44 CHAPITRE III
DE NOUVEAUX LIEUX Minimalisme .....................................................44 ÉLABORATION DU PROJET
Nouveau baroque ..........................................48
DE VENTE Rationnel ...........................................................52 Espaces de vente Louis Vuitton .........136
Classique intemporel ....................................56 Taipei ........................................................138
Multimarques et monomarques ..............12 Traditionnel ......................................................61
Kitsch ..................................................................62 Concept ............................................................138
L’espace de vente ............................................12 Nomadisme .......................................................64 Développement .............................................141
Le produit ...........................................................15 Magasin spectacle .........................................66 Gigantisme ......................................................143
Vecteur d’innovation : l’avant-gardisme ..16 Fun shopping ..................................................70 Aménagement intérieur .............................144
Vecteur de communication : l’image ......19 Style appartement ........................................73 Omotesando ......................................................146
Vecteur d’émotion : l’éveil des sens ......20 Avant-gardisme ...............................................77 Structure du bâtiment ................................147
Vecteur d’évasion : le rêve ........................22 Immeubles dédiés à l’enseigne .................81 Test grandeur nature ................................149
Vecteur de culture : la muséologie .............24 Environnement ..............................................150
Du lieu culte au lieu de culte ....................26 Traduction dans l’espace ........................88 Matériaux ........................................................152
Vecteur de chiffres : une réalité .............28 Décoration intérieure ................................154
Le juste milieu .................................................31 Couleur ................................................................88 Salle blanche .................................................156
Blanc ....................................................................92
Boutiques éphémères ..............................32 Noir ......................................................................93 Élaboration du concept
Noir et blanc ....................................................95 Marithée + François Girbaud ..............158
Des concept-stores nouvelle génération 32 Transparence ...................................................96
Quand l’éphémère se fait itinérant .........36 Matières et matériaux ..............................100 Pistes de recherche ...................................158
Les atouts des boutiques éphémères ....36 Lumière ............................................................104 Typologie de l’espace .................................159
L’infusion de l’art ........................................39 Courbes ............................................................108 Recherches sur les matières ................161
La boutique éphémère, un concept Lignes droites ...............................................112 Recherches sur les effets ........................162
qui dure ? ..........................................................40 Circulation verticale ....................................115
Circulation horizontale ..............................119 Matérialisation du projet ...................164
Façade ..............................................................121
Graphisme ......................................................122 Agencement ...................................................164
Végétal .............................................................126 Circulations verticales ...............................164
Développement durable ...........................128 Revêtements muraux et sol .....................167
Récupération .................................................130 Éclairage .........................................................167
Intervention de l’art ...................................132 Mobilier ...........................................................168
Façade ..............................................................169
Vecteur d’innovation : l’avant-gardisme
Pour créer la tendance, le concept-store jouit de
certaines exclusivités et notamment de nombreuses
avant-premières. Cela bonifie le caractère exclusif
propre tant à la collaboration qu’au concept-store
lui-même. Ce dernier accroît alors son caractère
prescripteur de tendances aux yeux d’un client qui
se perçoit comme un privilégié.
Le concept-store a aussi pour vocation de promou-
voir de jeunes talents grâce à diverses expositions
culturelles et artistiques, ainsi que par la présenta-
tion de marques nouvelles et\/ou étrangères, dont
la primeur de distribution nationale lui revient. À
tel point que la sortie d’un produit chez Colette est
aujourd’hui parfois incluse dans la stratégie de com-
munication des marques.
Ainsi, il n’est pas rare d’assister à une conférence
de presse ou à une présentation de collection dans
le concept-store, qui jouira par la suite de l’exclusi-
vité de sa distribution. Exclusivité totale en ce qui
concerne la collaboration entre Target et Chloé,
Colette en étant le seul point de vente français ;
exclusivité partielle lorsque l’espace en obtient
l’avant-première, comme cela a été le cas d’autres
partenariats créatifs tels que les lignes de Jeremy
Scott et Michel Gaubert pour Longchamp, Cécile
Togni pour Lancel ou Raf Simons pour Eastpak.
Cet esprit pionnier, Colette l’a confirmé en étant le
tout premier concept-store à revendiquer clairement
cette appellation depuis son ouverture en mars 1997.
L’animation du lieu, la diversité de son offre et son
renouvellement perpétuel contribuent à la fidélisa-
tion de la clientèle toujours en quête de nouveautés
et de singularité. La dimension pionnière se traduit
de même chez L’Éclaireur grâce à l’exclusivité, voire
la rareté, des produits proposés.
CI-CONTRE, L’Éclaireur (Marais), Paris, France. Prêt-à-porter, acces-
soires et mobilier sont présentés dans un espace commercial atypique,
pourvu d’une structure Eiffel, qui s’apparente à un loft de particulier
dans un style à la fois industriel et contemporain.
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9.
CHAPITRE I
De nouveaux lieux de vente
CI-DESSUS, Colette (rue Saint-Honoré), Paris, France, r.d.c. La vitrine est un élément de communication. Elle aiguise la
curiosité des passants et contribue à leur fidélisation : ses changements entraînent la récurrence des visites, faisant des
novices de futurs initiés. (Masamichi Katayama)
CI-CONTRE, Colette (rue Saint-Honoré), Paris, France, r.d.c. Ce petit espace entièrement mosaïqué entre l’escalier central
et l’une des vitrines se détache du reste du rez-de-chaussée et permet de faire des focus sur certaines marques ou certaines
créations. (Masamichi Katayama)
Vecteur de communication : l’image
Alors que dans l’habillement, de grandes enseignes, comme H&M ou Zara, privilégient
un renouvellement de l’offre toutes les six semaines, le concept-store Colette, lui, actua-
lise ses produits chaque semaine. De quoi donner aux articles vendus une dimension
exclusive ou unique.
Dans cette optique, à l’image de la une d’un hebdomadaire, la vitrine est renouvelée chaque
début de semaine chez Colette. Derrière la porte d’une boutique devenue vecteur médiati-
que, les produits à la pointe de l’actualité composent les scoops que désirent connaître ou
s’approprier des acheteurs curieux et cosmopolites.
Le concept-store, un magasin-magazine ? C’est indéniable. Par les choix et la sélection
des produits vendus, il affiche le parti pris de ceux qui sont à l’origine du lieu. D’ailleurs,
Colette, outre le fait de porter le nom d’une écrivaine française connue dans le monde
entier, porte le prénom de sa fondatrice. Dans le cas d’un multimarque, le magasin
matérialise les goûts de ses propriétaires et anticipe ceux du visiteur. Dans le cas d’un
monomarque, il impose l’image de la marque. Devenu le prolongement de sa communi-
cation, il se fait la traduction visuelle de ce qu’elle est. Le concept-store transmet ses
valeurs et affirme un style.
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CI-DESSUS, L’Éclaireur (Marais), Paris, France. Les CI-DESSUS, L’Éclaireur (Marais), Paris, France.
murs de la boutique ont été laissés dans leur état d’origine. Le mobilier est présenté sous forme d’installations
Craquelés et patinés, ils offrent un passé à la boutique et géométriques ; le produit se confond avec le décor
en font un lieu habité. de la boutique.
Vecteur d’émotion : l’éveil des sens
Le concept-store a tendance à dilater les formes pour susciter le choc, ou tout du moins interpeller et solliciter les émotions du
client. Il peut amuser l’œil, éblouir, frapper l’imagination, s’emparer de l’esprit de l’acheteur, etc. Ce dernier se mue alors en visiteur
ou, mieux, en spectateur. L’émotion prend le dessus. Il s’agit bien de véhiculer un style de vie à travers un lieu original, voire atypi-
que. Le style et l’agencement conceptualisent le lieu de vente, au même titre que le choix des produits.
Outre l’esthétique et le sensationnel, le sensoriel revêt une place primordiale dans la relation client\/concept-store. Chez l’Éclaireur,
il est intéressant de noter l’importance donnée aux textures, aussi bien dans l’architecture que dans les vêtements. Ainsi, la patine
murale côtoie les cuirs craquelés, sablés, vieillis, froissés de quelques vêtements et de certaines pièces de mobilier. On y relève des
contrastes, par exemple entre la froideur de matériaux comme l’acier ou le béton ciré du sol et la chaleur du bois ou du cuir. La per-
ception habituelle des matériaux y est détournée, comme avec ces formes de chaise arrondies qui tranchent avec le métal utilisé (voir
ci-dessus). Dans l’espace de vente l’Éclaireur de la rue Hérold à Paris (Ier arrondissement), le visiteur est plongé dans un tableau
clair-obscur qui théâtralise l’espace ; la musique complète cette ambiance de spectacle.
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CI-DESSUS, L’Éclaireur (Marais), Paris, France. Les meu-
bles adoptent des formes arrondies. Le mobilier appelle au
toucher et confère à l’espace une note de sensualité.
Les concept-stores partent donc à la conquête de tous nos sens : la vue, l’ouïe, le toucher, comme nous venons de le voir, mais aussi
l’odorat, le goût. Mais avant tout, ils agissent sur notre subconscient, ce lieu de mémoire et de représentations tant collectives
qu’individuelles. Les représentations positives suggérées imprègnent l’esprit du visiteur, qui aura un souvenir tenace, quasi impé-
rissable de sa venue dans l’espace de vente. La conception d’un concept-store requiert ainsi une sensibilité particulière, presque un
talent de visionnaire, pour anticiper désirs et rêves du client, tant par le lieu que par les présentations qui y sont faites.
La stimulation émotionnelle vise l’acte d’achat. C’est ce que certains nomment le marketing expérientiel, qui conduit le visiteur à
vivre une expérience d’achat plaisante voire distrayante. Le concept-store aime faire de son espace de vente un lieu dit de « retail-
tainment », contraction anglophone de retail (vente au détail) et entertainment (divertissement).
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CI-DESSUS, L’Éclaireur (rue Hérold), Paris, France. Le vêtement inscrit l’espace de vente dans la moder-
nité, murs anciens et mappemonde (au premier plan) invitent à la rêverie et aux souvenirs.
Vecteur d’évasion : le rêve
On peut se rendre dans un concept-store sans en avoir l’intention. On vient y chercher une ambiance, une atmosphère, l’évocation
d’un style de vie, voire d’un art de vivre à découvrir ou auquel s’identifier. Le produit n’est plus la finalité. Armand Hadida, le
fondateur de L’Éclaireur, l’affirme : « Les lieux de vente contemporains ne sont plus des boutiques mais des destinations. Il faut y
provoquer des moments d’étonnement, d’égarement, de séduction. » Une projection conceptuelle de la consommation, qui s’appuie
sur l’imaginaire des collections et ne s’interdit pas de reprendre certains clichés.
Dans la boutique de la rue Hérold, le vêtement apparaît comme secondaire. La présence d’une mappemonde suggère au client de
s’approprier une valise et un manteau. Cette invitation au voyage annonce l’univers de L’Éclaireur, riche d’évocations et de souve-
nirs, où le passé côtoie le présent. La patine omniprésente dans la décoration renvoie aux savoir-faire traditionnels, supposés être
à l’origine des produits proposés. Mais ce qui frappe surtout dans cet univers, ce sont les subtiles références symboliques à un
ailleurs ou à un « autrefois » par une transcription spécifique des influences du passé — la présence de l’Histoire.
Selon sa sensibilité, le visiteur est plongé dans un roman de William Faulkner ou se fond dans un tableau d’Edward Hopper. Le
concept-store se mue alors en une réalisation concrète d’un monde virtuel. À l’ère du numérique, chacun se fait l’acteur d’une his-
toire devenue la sienne.
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CI-DESSUS, L’Éclaireur (rue Hérold), Paris, France. Des matériaux authentiques, vieillis, parfois même usés.
CI-DESSUS, L’Éclaireur (rue Hérold), Paris, France. La mise en scène des objets apaise le mercantilisme inhérent à toute
boutique en suscitant d’abord des envies de vagabondage, de déambulation, d’oubli du quotidien.
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CI-DESSUS, L’Éclaireur (rue Hérold), Paris, France. Le cabinet des curiosités est le lieu de toutes les CI-DESSUS, L’Éclaireur (rue Hérold), Paris, France. Le cabinet des
extravagances et de tous les étonnements. Ici, point de vêtements, mais des pièces étonnantes, entre autres, curiosités renferme de véritables spécimens, dignes de figurer au Muséum
des squelettes et des têtes d’animaux sauvages… national d’histoire naturelle. Ils sont ici proposés à la vente.
Vecteur de culture : la muséologie
Le concept-store réduit la distance entre le musée et la réalité en infusant l’art dans la vie quotidienne. Il confère une autre dimen-
sion au produit : plus profonde, plus intellectuelle, plus culturelle. Le concept-store, nouveau musée ? Chez L’Éclaireur, Armand
Hadida évoque, à propos des créations mises en vente, « une expression artistique sans frontières où de véritables artistes tels
Marc Newson, Fornasetti ou Alison Berger se côtoient ». Certaines pièces s’inscrivent d’ailleurs dans le circuit de distribution des
musées, comme c’est le cas des pièces d’orfèvrerie d’art de Cleto Munari.
La présentation elle-même peut contribuer à une identification plus ou moins muséale. Chez Colette, le rez-de-chaussée épuré,
presque dépouillé, offre ainsi au regard des vitrines d’objets se donnant l’air rares et précieux, accompagnés d’une brève fiche
descriptive telles des pièces d’exposition. Leur prix, sobrement apposé sur fond noir ou blanc, se fait discret.
Le produit est intellectualisé tout comme le lieu lui-même, où des expositions temporaires semblent incessamment se dérouler. Au
sein de L’Éclaireur de la rue Hérold, des événements artistiques investissent d’ailleurs occasionnellement l’espace de vente en fin
de journée. Il a ainsi accueilli un hommage à Nijinski au cours duquel des danseurs évoluaient dans la boutique. On y produit aussi
des concerts ou des pièces de théâtre. La frontière entre lieu de vente et lieu culturel s’amenuise.
« L’Éclaireur défriche le chemin. Le parcours de celui qui y vient est une découverte, une promenade. Notre rôle est celui d’un direc-
teur artistique : nous avons beaucoup de plaisir à parler du génie des autres », aime à rappeler son fondateur. Les vendeurs ne
sont pas là pour pousser à l’achat mais pour guider la flânerie du consommateur. « Face au client, ce roi qui nous donne le privilège
d’exister, le personnel doit être capable de parler de tout et afficher une solide culture générale. La communication entre vendeur
et client constitue un premier chapitre qui doit se dérouler sans aucune faille. Il faut un discours juste », explique-t-il encore.
CI-CONTRE, Colette (rue Saint-Honoré), Paris, France, r.d.c. La présenta-
tion des accessoires sous vitrines n’est pas sans rappeler celle de certains
objets précieux dans les musées. (Masamichi Katayama)
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Boutiques éphémères
Les concept-stores proposent des ventes événementielles hors soldes, souvent d’éditions
limitées et exclusives. Aujourd’hui, certains d’entre eux vont encore plus loin pour séduire
et étonner, en ouvrant des espaces de vente à la durée de vie réduite. Ces boutiques éphé-
mères, dites « pop-up retails » ou « guerrilla stores », revêtent de nombreuses fonctions
stratégiques pour leurs initiateurs.
Le concept en est simple : le magasin doit être implanté, au sens propre, loin des sentiers
battus, pour une durée de vie déterminée allant de quelques jours à un an (rarement au-
delà dans tous les cas), pour en faire un véritable contre-pied à l’uniformisation de l’offre
commerciale et à la banalisation de certains concepts de vente.
Des concept-stores nouvelle génération
CI-CONTRE, boutique éphémère ColettexGap, (5e avenue) Depuis 2000, on assiste à la multiplication de ce concept-store d’un temps, qui n’est donc
New York, États-Unis d’Amérique. Un espace éphémère plus le seul apanage de marques confidentielles. L’un des tout premiers à avoir lancé son
Colette a ouvert à Manhattan du 6 septembre au 5 octobre espace éphémère est Russell Miller, le fondateur de Vacant, les Vacant clubbers ayant
2008 au sein du magasin Gap et a choisi une vitrophanie été prévenus par courrier électronique de la création de ce point de vente d’une durée de
aussi compétitive en termes de prix qu’efficace en termes vie de quatre semaines. En 2003, Target choisit de présenter sa gamme signée par Isaac
de visibilité pour la façade. La devanture a été customisée Mizrahi dans une boutique de plus de 100 mètres carrés, créée au cœur du Rockefeller
pour l’événement. Center à New York, et ce, pendant un peu plus d’une semaine. Depuis, l’expérience a été
renouvelée, pour une ligne spécialement conçue avec Proenza Schouler notamment.
En 2004, Comme des Garçons lance ses guerrilla stores en référence à ces « petits groupes
indépendants qui se battent pour leurs idées ». Rei Kawakubo, la créatrice de cette mar-
que japonaise d’avant-garde, inaugure le concept dans une ancienne librairie d’un quar-
tier industriel berlinois dont l’enseigne a été préservée. La décoration est minimaliste et le
béton brut donne l’impression étonnante de se trouver plus dans un squat que dans une
boutique. Le mobilier a été chiné dans des dépôts-ventes à quelques encablures. D’autres
créateurs, de moins grande notoriété que la marque phare, participent à l’aventure, ainsi
que quelques artistes qui proposent leurs œuvres à la vente dans la boutique.
À mille lieux des temples de la consommation installés le long des artères des grandes
métropoles internationales, toutes les boutiques éphémères Comme des Garçons voient le
jour dans des lieux insolites et ont une durée de vie limitée à une année, quel que soit le
succès commercial rencontré.
Depuis leur création, ces guerrilla stores ont été implantés dans une quarantaine de vil-
les, tantôt reconnues par tous sur la scène de la mode internationale, comme Los Angeles,
Barcelone, Singapour ou Berlin, tantôt plus inattendues comme Cologne, Bâle, Varsovie,
Beyrouth, Vilnius, Helsinki, Reykjavik… Ce concept alternatif a depuis été récupéré par de
nombreuses marques, qu’elles soient très haut de gamme ou plus populaires.
Ainsi, parmi les acteurs récurrents du point de vente éphémère, on trouve en bonne place
les équipementiers sportifs, qui lui associent d’autres concepts commerciaux, toujours
plus inventifs. Nike a ainsi créé un « Nike Runner’s Lounge » à Vancouver, au sein duquel
les coureurs, clients fidèles ou occasionnels de la marque, pouvaient se faire masser, se
restaurer et bien sûr tester les derniers modèles adaptés à leur pratique sportive juste
avant le semi-marathon de la ville. L’équipementier a aussi dédié un espace entier, à New
York, à son programme Nike ID, qui permet la personnalisation de certains modèles.
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CI-DESSUS, boutique éphémère ColettexGap, (5e avenue) New York, États-Unis d’Amérique. L’intérieur privilégie une mise
en scène événementielle composée d’un mobilier sobre et modulable, de vitrophanie et de stickers muraux, ainsi que de vidéos
exclusivement créées pour le magasin.
On y entrait sur rendez-vous et pas à plus de trois personnes à la fois ! En 2006, la marque sportive ouvre un autre espace new-yor-
kais à Soho pendant quatre jours, afin de vendre une édition de chaussures Zoom LeBron IV, limitée à 250 exemplaires, à l’occasion
d’un match opposant l’équipe de basketball des Cleveland Cavaliers aux New York Knicks. Le lieu de vente adoptait une scénogra-
phie commerciale imaginée par l’agence Eight com’. Fondée sur la vie de LeBron James, qui a inspiré ces chaussures vendues au
prix unique de 250 dollars US, la mise en scène présentait des objets propres au parcours du jeune athlète. Ce mode de communi-
cation mi-boutique mi-exposition hommage a été renouvelé pour la promotion d’autres modèles de chaussures emblématiques de
la marque. Enfin, du 8 août au 20 septembre 2008, au moment même où se tenaient les JO de Pékin, des péniches consacrées à la
gamme Nike Sportswear ont sillonné les fleuves de huit grandes métropoles internationales ayant accueilli les JO par le passé :
Paris, Londres, Moscou, Rome, Berlin, Amsterdam, Barcelone et Stockholm. Elles présentaient des modèles inédits avec des artistes
d’horizons différents comme le créateur Felipe Oliveira Baptista, la créatrice Andrea Crews ou le DJ Pedro Winter.
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CI-DESSUS, boutique éphémère ColettexGap, (5e avenue) New York, États-Unis d’Amérique. Des vidéos spécialement pensées par
Kuntzel + Deygas pour la boutique éphémère animent le mur. Les créations visuelles de ces artistes contribuent à l’identification
du lieu de vente comme un espace Colette, car ils travaillent depuis de nombreuses années avec le concept-store parisien.
En France, on peut citer Cop.Copine ou Les Petites pour les marques de prêt-à-porter féminin ayant tenté l’aventure. Même le
concept-store Colette a créé son espace éphémère. Ouvert du 6 septembre au 5 octobre 2008 en partenariat avec Gap, le point de
vente proposait, à deux pas de la 5e avenue, dans le quartier de Manhattan, une pléthore de produits. Exclusifs et en édition limitée
pour la plupart, ils mélangeaient les genres afin de répondre à tous les goûts et à tous les budgets. Les propos de Marka Hansen,
la présidente de Gap Amérique du Nord, sont éloquents quant à la définition du « pop-up store » : « Notre objectif est de célébrer
le meilleur de la mode et de la culture, tout en surprenant et en mobilisant nos clients. »
Le Japon aussi connaît ses boutiques éphémères. Le 21 juin 2008, Yuichi Yoshii, directeur artistique du malletier de luxe Goyard sur
les terres nipponnes, a ouvert The Contemporary Fix dans une petite ruelle du quartier d’Aoyama à Tokyo. Yuichi Yoshii n’y propose
que des produits en édition limitée sur une très courte durée. On a pu ainsi y dénicher, par exemple, la collection de Mastermind et
le scooter customisé par Mastermind, des livres et des revues à tirage restreint, des tennis « vintage » et même des jouets.
35
Quand l’éphémère se fait itinérant
Se voulant toujours plus proches des consommateurs, les bouti-
ques éphémères se font parfois itinérantes. Ainsi, en 2004, soit
quatre ans après la conception de son « pop-up store », Vacant
passe de la sédentarité à l’itinérance en s’installant à l’arrière d’un
Hummer, afin de parcourir les États-Unis et d’aller au plus près
d’une clientèle potentielle. Gap a, lui aussi, testé le nomadisme du
concept de vente en utilisant un school bus nord-américain, pour
promouvoir ses collections balnéaires de New York à Los Angeles.
De l’autre côté de l’Atlantique, les propriétaires de la boutique
Laden Showroom ont lancé le London Fashion Bus. Doté de cabi-
nes d’essayage, ce dernier vendait des vêtements à travers toute la
Grande-Bretagne. La chaîne d’habillement japonaise Uniqlo utilise
des conteneurs usagés, qui, transformés en miniboutiques, sont
particulièrement faciles à transporter.
Les atouts des boutiques éphémères
Les avantages de ce mode de distribution récent sont nombreux.
Les espaces de vente éphémères permettent de tester la nouveauté,
tant en termes de marché que de produits. « C’est avant tout une
manière de tester et de mieux appréhender les attentes des futurs
consommateurs », confie la marque Les Petites.
Par cette pratique commerciale, l’enseigne fait parler d’elle, de son
parcours ou de certains de ses produits. Pour fêter ses 25 ans,
Swatch a ouvert des « instant stores » en 2008, dont le slogan
résume, à lui seul, le caractère éminemment événementiel de ces
magasins : « faire du bruit, puis dégager ». Les boutiques éphémè-
res peuvent aussi faire évoluer une clientèle, une image, des pro-
duits, la manière de les présenter, donc le point de vente lui-même.
Elles contribuent également à créer l’exclusivité. Ainsi, le géant du
luxe français Louis Vuitton et la marque japonaise Comme des Gar-
çons, plus confidentielle, ont fait boutique commune au Japon du
4 septembre à la mi-décembre 2008 en proposant six sacs en édition
limitée, que les acheteurs intéressés ne pouvaient se procurer que
s’ils faisaient le déplacement à Tokyo, avenue Kotto Dori, dans le
quartier d’Omotesando, au sein de la boutique Comme des Garçons,
où l’espace éphémère s’était installé. Aucune commande par télé-
phone ou par Internet n’était possible.
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CI-DESSUS, boutique The Contemporary Fix (Aoyama), Tokyo, Japon. La boutique a choisi un
style minimaliste. Elle accueille chaque mois des projets différents, sa façade évoluant en fonc-
tion des créations qui y sont présentées.
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L’un des intérêts les plus notables de ce type de commerce est qu’il permet de vendre CHAPITRE I
avec un investissement très raisonnable. La communication, à l’image des points de vente,
est réduite sur le plan géographique. Comme des Garçons utilise ainsi un site Internet, le De nouveaux lieux de vente
placardage d’affiches et la distribution de flyers pour créer du trafic dans ses guerrilla
stores. Ces derniers bénéficient parfois de la convention d’occupation précaire grâce à
laquelle le bail se résume à une légère indemnité mensuelle. Outre l’économie réalisée
sur le bail, l’espace de vente réduit à l’essentiel le personnel associé. D’ailleurs, pour les
guerrilla stores Comme des Garçons, le locataire n’est pas la marque qui investit les lieux,
mais un partenaire local, qui la contacte en amont du projet. Ainsi, à Berlin, le locataire
de l’espace ne payait que 700 euros par mois, tandis que dès les trente premiers jours
d’installation, Comme des Garçons atteignait 20 000 euros de recettes. Avec ce mode de
commercialisation, l’enseigne ne dépend ni d’intermédiaire ni de distributeurs : les marges
sont ainsi au plus haut. Même les collections des saisons passées sont proposées à la
vente à des prix soldés. Toujours dans ce souci d’économie et de mise en valeur exclusive
du produit, l’aménagement intérieur est souvent « brut ».
L’infusion de l’art
Les enseignes de luxe elles-mêmes commencent à développer des espaces de vente éphé-
mères, mais elles y apportent la plupart du temps plus de densité. Certaines marques vont
plus loin. C’est le cas de Louis Vuitton, qui a ouvert une boutique éphémère au sein du
musée d’Art contemporain de Los Angeles (MOCA) à l’occasion de la rétrospective consa-
crée à Takashi Murakami, du 29 octobre 2007 au 11 février 2008. Le malletier français y a
posé ses sacs le temps de l’événement, au beau milieu du parcours. Sur 80 mètres carrés,
les visiteurs ont ainsi pu découvrir et acquérir une ligne exclusive de maroquinerie, créée
spécialement par Louis Vuitton et Takashi Murakami. Pour parfaire cette quête de l’uni-
que, ces différents modèles n’étaient disponibles qu’au MOCA pendant toute la durée de
l’exposition. Le malletier affirmait alors dans un communiqué que, par cette manifestation,
il souhaitait marquer « l’entrelacement entre l’art, la culture, la mode et le commerce ».
L’esprit des boutiques Louis Vuitton y était préservé grâce à l’aménagement intérieur. Le
mobilier était tout de blanc laqué, clin d’œil à l’artiste nippon, tandis que la structure du
magasin s’apparentait à un cube blanc dont les faces projetaient des animations issues de
l’univers de Takashi Murakami.
Quant à la marque de prêt-à-porter de luxe Chanel, elle a développé un véritable musée
d’art contemporain itinérant, avec l’architecte Zaha Hadid. Ensemble, elles ont rendu hom-
mage en Asie et aux États-Unis au célèbre « 2.55 », le sac matelassé conçu en 1955 par Coco
Chanel en personne. Ce Mobile Art de 700 mètres carrés a commencé son tour du monde
à Hong Kong en janvier 2008, avant de faire escale à Tokyo puis à New York. Avec cet
espace éphémère, il ne s’agit plus de vendre mais bien de promouvoir la création artistique
contemporaine, tout en l’associant à l’un des produits phares de Chanel.
CI-CONTRE (HAUT), boutique The Contemporary Fix (Aoyama), Tokyo, Japon. La boutique a ouvert ses portes avec les collec-
tions « Masaaki Homma » de Mastermind. Le Gundam et un scooter customisés par ce premier collaborateur étaient présentés
pour l’occasion.
CI-CONTRE (BAS), boutique The Contemporary Fix (Aoyama), Tokyo, Japon. L’aménagement intérieur est constitué
d’échafaudages et de mobilier démontable pour qu’on puisse modifier l’espace en fonction des présentations.
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CI-DESSUS, Chantal Thomass (rue Saint-Honoré), Paris, France. Dans une boutique rose bonbon, les lustres en verre de
Murano côtoient des meubles en Dacryl rose osant un galbe Louis XV. (Christian Ghion)
Nouveau baroque
Le baroque est un style artistique qui a vu le jour en Italie à la fin du xvie siècle avant de se propager dans le reste de l’Europe.
S’opposant au classicisme, il se caractérise par une profusion d’ornements, « une opulence tourmentée de couleurs et de jeux
d’ombre et de lumière », alors destinés à renforcer le prestige de l’église catholique et à favoriser l’évangélisation du Nouveau
Monde. « L’esprit baroque réside dans la liberté de modifier les formes classiques à l’origine, de manière à les rendre perméables
à toutes les nuances d’expression émotive », écrit Jean-Baptiste Ache dans son ouvrage Éléments d’une histoire de l’art de bâtir
(1970). Le baroque est donc un mouvement artistique qui veut susciter chez chacun des états affectifs particuliers en sollicitant
intensément les sens.
Le nouveau baroque est une version contemporaine du baroque, qui remet celui-ci au goût du jour dans certains concept-
stores. Cette interprétation use toutefois de codes moins dramatiques et les inscrit dans une architecture foisonnant d’ambiances
et de matériaux nouveaux. La surabondance est une constante : les styles s’entrechoquent à outrance dans une joyeuse caco-
phonie, privilégiant tous les formes tarabiscotées. La palette d’harmonies est plus gaie et toujours dans des dominantes de rose,
de grenat, ou de pourpre.
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CI-DESSUS, Chantal Thomass (rue Saint-Honoré), Paris, France. Les murs capitonnés restituent l’ambiance sensuelle et
intimiste d’un boudoir du xixe siècle. Certains meubles sont signés. (Christian Ghion)
Avec le nouveau baroque, les objets et le cadre de vie prennent un caractère symbolique, une expressivité rituelle, constituant une
nouvelle et extraordinaire poétique. La clientèle qu’elle séduit recherche l’émotion, l’exotisme et l’évasion. Elle aime l’apparat dans
les univers oniriques.
Garouste et Bonetti ont été parmi les précurseurs de cette tendance avec la boutique En attendant les barbares, de la rue Étienne-
Marcel à Paris. Aujourd’hui, celle-ci trouve un écho dans le boudoir de Chantal Thomass. L’architecte Christian Ghion y manipule
les références baroques pour leur conférer une nouvelle modernité. Il y a privilégié des tons rosés, des murs en capitonnage et
en Corian, des lustres en verre de Murano, des sièges de satin juponnés. Ces éléments côtoient des commodes Louis XV en verre
acrylique coloré, qui apportent un contraste étonnant en inscrivant le concept dans l’Histoire.
Chez Camper, Jaime Hayon a imaginé un mobilier à la hauteur d’une architecture spectaculaire et déconnectée de l’environnement
proche du point de vente. On y retrouve le capitonnage sur un siège baroque laqué rouge. Les tables présentent des pieds tous
différents. Les miroirs sont coupés bord-franc dans des formes qui imitent les cadres du xviiie siècle. Les couleurs réactualisent le
baroque dans un nouveau style aux couleurs pop.
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